JUILLET 2016 – OEUVRES RECENTES – peinture, dessin –
« Aussi loin que je puisse remonter dans mes souvenirs, le dessin et la peinture ont nourri mes rêveries et mes fantasmes enfantins.
Je retourne dans la touffeur des après-midi d’été… Les persiennes de la chambre occultent la lumière et dans cette pénombre propice à l’imaginaire, je visite la bibliothèque familiale. […] » B BATAILLE
Edition d’un portfolio avec un texte de BARBARA MAHE
Tavers, le 24 Mai 2016
Cher Bertrand
Un jour de printemps doux et brumeux comme les bords de Loire savent offrir, je paressais sur la terrasse de la maison de Tavers. Mes pensées flottaient. Elles passaient de ma perception de tes tableaux à mes recherches obsessionnelles sur le monde pictural et poétique qui te nourrit, transitaient par des réflexions sur d’autres peintres aimés dont les abstractions me mènent vers l’ellipse de la langue, interrogeaient l’exercice que j’accomplis, libre, pour art sous x mais qui me fait toujours grincer les dents et la tête, raccourcit mes nuits…
Toutes ces pensées vagues m’endormirent.
Les rêves sont des chutes, des revers de chagrins, des versions de bonheur, des déchirures de mémoire, des restes risibles, des zestes de réel. Signes du désir, ils imposent des lieux transfigurés, des instants de vérité, un monde hors de la raison, toujours !
Donc, en ce léger jour de printemps, le rêve m’envahit, un imbroglio d’univers se révéla…
Celui d’un diablotin arguant le ciel, l’enfer, le pouvoir de Dieu, maniant avec la précision d’un horloger l’art de rendre coupable et jouissif le plaisir charnel
Celui d’un monde paysan moyenâgeux, détaillé à la loupe par un visionnaire subversif, dont les noces aux allures de bordel explosent pour mieux vivre et s’effacer, un jour, afin de ne pas trahir les maîtres qu’ils soient hommes ou dieux
Celui d’un frôlement magnétique et de pages oniriques aux mots tracés d’une encre « bleue comme une orange » qui anéantit le réel pour dévoiler au plus près la nécessaire poétique de la vie
Celui d’un espace comique et déconstruit de notre cynique société par l’imaginaire sublime d’un être solitaire, poète, amoureux des bistrots
Celui d’une petite souris virevoltant au-dessus de tout cet enchevêtrement
Elle tient à la main un sac scintillant. Tout ce qu’elle capture à cet instant y est présent avec une « chose » en plus
Garder secrète cette « chose » est pour elle principal !
Soudain, elle s’accroche à la chevelure blonde d’une jeune femme volant au-dessus du monde
La lumière du jour s’efface, lente, comme la flamme d’une bougie à bout de cire…
Le rêve se troublait…
Dans un renouveau de l’image, l’insolite mammifère, porté par le souffle léger des reflets blond vénitien, atterrit dans un grand espace blanc. La rudesse des murs masquée par la douceur d’un voile de chaux offre des interstices de lumière…
Elle est ravie, la petite souris, d’être égarée dans ce drôle de lieu, en compagnie de l’énigmatique créature féminine !
Alors, elle ouvre son sac et pose délicatement à terre des tableaux de Bosch, de Bruegel l’ancien, de Max Ernst, de Magritte, des photos de Man Ray… Elle empile les livres de Breton, de Soupault… Avec beaucoup de réticence, elle place dans un coin ceux de Topor (à vrai dire, elle ne sait pas où déposer ses dessins, son théâtre et le reste de son œuvre. Elle adore cette confusion !)
Cette petite souris n’est, en fait, qu’une voleuse d’œuvres ! Une gentille voleuse !
Elle souhaite, seulement, donner à voir, à tous, les merveilles du monde !
Le rêve se troublait…
En un étrange pas de danse, dont, seule, cette minuscule créature a le secret, elle sort de sa petite besace la « chose »
Et… dans les interstices lumineux des murs, elle niche les toiles de Bertrand Bataille !
De but en blanc, une alchimie en clair-obscur ensorcelle le lieu
Une insurrection tendre d’êtres humains isolés dans une commune quête, tenus par l’étrange drapé blanchi de l’enfance à jamais sauvegardée
Un départ en sens inconnu, dans une exaltation grégaire, pour mieux perdre la tête, rire de la bêtise ou narguer la peine
Le créateur de cette insurrection joue, en espiègle généreux, avec les fantômes des ténèbres et de la clarté
Grinçante ironie, douce nostalgie du passé
Dans un capharnaüm joyeux, ses mains explosent le réel mêlant le corps humain à celui de la bête, de la chose. Elles mettent à nu la magie du miroir
Les têtes s’envolent toujours vers un ailleurs
Pas si loin de la lune
Pas si loin du soleil
Jamais en enfer
A ce désordre cosmique résiste, libre, la sublime jeune femme à la chevelure de feu
Elle ne bouge plus, ferme les yeux… la petite souris aussi
Un énorme citron surgit. Véritable rupture de décor !
Alors… avec délice, toutes deux dégustent l’acidité du fruit au goût de miel et disparaissent dans le mitan d‘un océan adouci
Le rêve s’estompait, le rêve s’estompait…
Je m’éveillai, plus légère
Sensation indicible à l’envers du temps
La vision des vieux cerisiers toujours aussi vigoureux dans ce jardin indomptable, la fraicheur de la fin d’un jour de printemps qui survient, remirent en ordre ma raison.
Je rêvais sur la terrasse de Tavers !
Et, quittant le dehors pour le dedans – il n’y a qu’un pas à faire, en cet endroit, pour savourer ce voyage – je compris que le récit de ce rêve portait le texte que je voulais t’offrir… à la pensée rêveuse… à la ponctuation vagabonde… sans concordance des temps… mais accordé, je l’espère, à ton univers enchanteur.
Merci à toi Bertrand
Voir l’article consacré à B BATAILLE dans la revue DIASPORIQUES (n°35 octobre 2016) dans lequel on peut également retrouver un extrait du texte de B MAHE.
photos ©Philippe Van Es